Month: février 2025

Svenja Grivaz, Musicothérapeute pour ESPAS, nous parle de son travail

Qu’est ce qui vous a motivé à choisir cette profession en particulier ?

J’ai grandi avec la musique. Depuis toute petite, j’ai chanté, joué du violon, du piano, de la guitare… Mon père vient du milieu artistique, et ma mère travaillait dans les soins. Je n’avais pas envie de choisir entre ces deux univers, alors j’ai décidé de les combiner. Finalement, j’ai entamé ma formation à l’Ecole Romande de musicothérapie (aujourd’hui Centre Romand de Musicothérapie) à Genève. En 2018, j’ai finalement pu démarrer ma carrière professionnelle.

Pendant mon parcours, j’ai effectué un stage à l’hôpital psychiatrique de Marsens, puis j’ai commencé à travailler avec des personnes en situation de polyhandicap lourd à Bulle. Aujourd’hui, je fais partie de l’équipe d’ESPAS depuis décembre 2023, et cela fait déjà un an que je m’épanouis dans cette mission.

Comment expliqueriez-vous ce qu’est la musicothérapie, notamment à des personnes moins sensibles à la musique ou au domaine artistique ?

De manière générale, la musique fait partie de notre quotidien, que nous en soyons conscients ou non. On l’écoute pour se motiver, se détendre ou accompagner nos émotions. La musique est là, même en arrière-plan. Par exemple, si tu ne vas pas bien, tu n’écouteras probablement pas une musique très énergique, car elle ne correspond pas à ton état émotionnel. La musicothérapie, c’est un peu la même chose. C’est un moyen de rencontrer la personne là où elle est, en utilisant les sons pour exprimer ce qui peut parfois être difficile à verbaliser. Jouer ou écouter un morceau peut alors permettre d’exprimer un flot d’émotions sans avoir à trouver les mots, qui, parfois, ne suffisent pas ou ne sont pas adaptés.

Avec les enfants, l’absence de mots peut aussi être une protection. Par exemple, ils peuvent ressentir de la colère ou de la tristesse envers leurs parents, mais leur loyauté les empêche de l’exprimer clairement. En leur proposant un instrument, je peux leur permettre de relâcher ces émotions autrement.

L’objectif, dans tous les cas, n’est pas de chercher une vérité mais de créer un espace où les émotions peuvent s’exprimer librement, sans jugement ni contrainte, et où la musique devient un langage à part entière.

Quelle est la différence de travail entre un adulte et un enfant en musicothérapie ?

Avec un enfant, il y a souvent une forme de spontanéité et d’authenticité. Les enfants expriment leurs émotions de manière plus directe, sans trop se soucier des codes ou des jugements. En revanche, un adulte est souvent influencé par des constructions mentales et sociales, avec des pensées comme « Je ne peux pas dire ça », ou « Je ne peux pas faire ça ».

La musique devient alors un moyen pour les adultes de sortir de ces cadres qu’ils se sont imposés, de s’autoriser à exprimer des émotions ou sensations qu’ils refoulent. C’est une expérience libératrice : elle permet de lâcher prise sans forcément devoir passer par les mots. À travers la musique, ils peuvent ressentir physiquement ce qu’ils éprouvent, se connecter aux vibrations et retrouver une forme de liberté émotionnelle.

Avec les enfants comme avec les adultes, la musique crée un espace d’expression unique, mais les chemins pour y parvenir sont adaptés à la manière dont chacun, à son âge, interagit avec le monde et ses propres émotions.

Comment se déroule la musicothérapie dans le cadre d’ESPAS ?

Pour le moment, mon travail de musicothérapeute chez ESPAS est encore assez limité, principalement parce que je dispose de peu de matériel. Malgré cela, avec ce que j’ai à disposition, je peux proposer des activités adaptées. Par exemple, j’invite les patients à choisir un instrument pour représenter chaque membre de leur famille ou entourage proche. Cela peut inclure des éducateurs ou d’autres figures importantes si la famille n’est pas présente. Chaque instrument choisi devient une sorte de « couleur » ou d’identité pour la personne qu’il représente.

On peut également travailler avec la voix pour créer des moments de connexion, comme chanter ensemble ou réinterpréter des chansons. Par exemple. un enfant qui aimait beaucoup Mulan adorait chanter « Comme un homme ». Nous avons repris cette chanson pour la réadapter à son histoire personnelle, l’imaginant dans le rôle de Mulan. Ce type de mise en scène et de personnalisation permet aux patients d’exprimer ce qu’ils ressentent de manière ludique et significative.

La musique a cet avantage unique: elle permet à plusieurs personnes de s’exprimer simultanément sans que cela devienne chaotique, contrairement à une conversation verbale où tout le monde qui parle en même temps crée rapidement de la confusion. Avec la musique, chacun peut trouver sa place, et tous peuvent se rejoindre dans une forme d’expression collective.

Pour quel type de problématique la musicothérapie peut-elle être particulièrement bénéfique ?

La musicothérapie peut être utile dans de nombreuses situations, car elle s’adapte aux besoins de chaque personne et au moment présent. Parfois, on peut envisager une séance de musicothérapie, mais la personne arrive avec un besoin différent, comme simplement parler ou déposer quelque chose. La flexibilité est essentielle, et la musicothérapie peut être adaptée à tout le monde.

Par exemple, pour des personnes en situation de handicap, où l’expression verbale peut être limitée ou inexistante, la musique devient un autre moyen de communication. Elle permet d’échanger, de créer du lien, et de faire émerger des interactions à travers les sons.

Un des principes fondamentaux en musicothérapie est que la notion de « juste » ou « faux » n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est de jouer ce qui vient naturellement. En résumé, la musicothérapie offre un espace pour expérimenter et exprimer ce qui est difficile à verbaliser, que ce soit pour des raisons émotionnelles, sociales ou liées à des capacités différentes.

Que souhaitez-vous dire aux personnes qui ne connaissent pas ESPAS et qui envisagent de soutenir le projet ?

Il est souvent plus facile de fermer les yeux sur la réalité des abus sexuels. On préfèrerait ne pas savoir que cela existe. Personnellement, avant de travailler ici, j’avais une vision assez naïve. Je ne réalisais pas à quel point de nombreuses personnes, et en particulier des enfants, sont touchées par ces abus.

Chez ESPAS, notre objectif est d’offrir un espace pour traverser ces épreuves, pour se recentrer, se retrouver et découvrir de nouvelles ressources en soi. C’est crucial d’avoir des personnes prêtes à écouter et à accompagner, car chaque individu a des besoins différents.

Quand on traverse des moments difficiles, il est essentiel de ne pas rester seul. Il est nécessaire de se faire accompagner pour avancer sur son chemin, à son propre rythme. Beaucoup de personnes ont vécu des expériences similaires, et il y a des professionnels et des structures prêtes à aider, soutenir et guider.

En tant que musicothérapeute, je me vois comme une accompagnatrice, une guide. Je peux montrer des portes, proposer des outils et des pistes, mais c’est toujours au patient·e de décider de les ouvrir et de travailler sur ses propres problématiques. Mon rôle est d’être là, à ses côtés, pour le soutenir dans ce cheminement.

Soutenir ESPAS, c’est permettre à ces personnes de trouver un lieu où elles peuvent être entendues, accompagnées et entourées, sans jugement.